La suspension de la prescription ne profite qu’au demandeur à la mesure d’expertise

26 février 2021 • froid


Dans cette affaire, une SCI (SCI RESIDENCE DU CHATEAU DE BEUGNY) a fait appel à la société BERCI (entreprise de maçonnerie) pour des travaux d’extension et de rénovation du château de BEUGNY dans lequel elle souhaitait créer plusieurs appartements destinés à la location. Se plaignant de malfaçons, la SCI a cessé de régler la société BERCI qui l’a assignée, le 3 janvier 2009, en référé, devant le Tribunal de Grande Instance de Tours, en paiement d’une provision d’un montant de 171 256,22 € au titre du solde des travaux. Par ordonnance du 27 janvier 2009, le Juge des Référés a fait droit à cette demande en paiement. La SCI a alors interjeté appel de cette décision. La Cour d'Appel a infirmé l’ordonnance du 27 janvier 2009 (et, de ce fait, la condamnation au paiement de la SCI) et a ordonné une expertise judiciaire afin de vérifier l’existence des désordres allégués par la SCI et faire le compte entre les parties. Dans son rapport d’expertise, l’expert concluait que la SCI RESIDENCE DU CHATEAU DE BEUGNY demeurait débitrice à l’égard de la société BERCI de la somme de 93 932,96 € au titre des travaux réalisés. Le 11 juin 2014, le liquidateur de la société BERCI, (placée, dans l’intervalle en liquidation judiciaire) a assigné la SCI devant le Tribunal de Grande Instance de Tours afin d’obtenir le paiement de cette somme. En défense, la SCI soulevait la prescription de la demande de la société BERCI au motif que la mesure d’instruction ordonnée par la Cour d'Appel, à la requête de la société BERCI, n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action en paiement de la SCI à son égard.  Le tribunal a rejeté cette argumentation et condamné la SCI au paiement de la somme de 140 618,75 €. La SCI a interjeté appel de cette décision. La Cour d'Appel a confirmé la décision de 1ère instance, considérant que l’assignation en référé délivrée en 2009 par la société BERCI à l’égard de la SCI avait interrompu la prescription qui avait ensuite été suivie d’une suspension de l’instance le temps de la mesure d’expertise ordonnée. La Cour d'Appel a ainsi retenu que la mesure d’instruction sollicitée par la SCI et ordonnée par l’arrêt du 30 septembre 2009 avait un effet suspensif de la prescription profitant à toutes les parties et, de ce fait, même à la société BERCI qui n’était pas à l’origine de la demande d’expertise judiciaire (Cour d'Appel d’Orléans, 25 octobre 2018, n°17/022591). Dans un arrêt du 17 décembre 2020, la Cour de Cassation a censuré cette position au motif que l’effet suspensif de la prescription attaché à la mesure d’instruction sollicitée ne profite qu’à l’égard de la partie ayant sollicité cette mesure. La Cour de Cassation indique en effet : « En statuant ainsi, alors que la suspension de la prescription, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, tend à préserver les droits de la partie ayant sollicité celle-ci durant le délai de son exécution et ne joue qu'à son profit, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». L’effet suspensif de la prescription ne profite donc qu’au seul demandeur à la mesure d’expertise judiciaire. Il convient ainsi d’être particulièrement vigilant, lorsqu’une demande d’expertise judiciaire a été ordonnée et que le solde des travaux n’a pas été réglé, et de veiller à interrompre le délai de prescription. A défaut, à l’issue de la mesure d’expertise judiciaire, la demande en paiement pourrait être prescrite. Cass, Civ, 3ème chambre, 17 décembre 2020, n°19-14.837